Quand les scientifiques se font aventuriers
Ils sont ethnologues, biologistes, géographes, anthropologues, astrophysiciens ou médecins. Comme leurs aînés Bougainville, Cartier ou Magellan, ils rêvent d'aventures et risquent leur vie pour découvrir le monde. « La Terre a beau avoir été parcourue dans tous les sens et scrutée dans ses moindres recoins par l'imagerie satellite, il reste encore des territoires vierges à déflorer », témoigne le photo-graphe explorateur Evrard Wendenbaum. Accompagné d'une équipe internationale de scientifiques, il vient de ramener de Madagascar un documentaire en 3D (le premier du genre) du massif inexploré du Makay, au sud-ouest de l'île. « Une forteresse minérale jamais cartographiée de 4.000 km2 qui a permis à la faune et la flore de se différencier en marge de l'évolution générale. »
Dans leurs filets, de nouveaux insectes, des amphibiens, des oiseaux, des poissons, des reptiles et une immense population de palmiers endémiques (Ravenea rivularis) que les scientifiques pensaient en voie critique d'extinction. « Le Makay ne peut laisser personne indifférent, explique le chiroptérologue (spécialiste des chauves-souris) Vincent Prié, qui a participé à l'expédition. Chacun de ses méandres est autant sujet à interrogation qu'à émerveillement. »
Nouvelles espèces
L'attrait pour l'inconnu n'est pas le seul dénominateur commun aux scientifiques aventuriers. Curieux, passionnés, écosensibles, désintéressés... « Le potentiel de découvertes est le carburant qui permet aux chercheurs de repousser leurs limites pour tracer de nouveaux chemins sur des terres dont on pensait tout connaître », selon l'explorateur Bertrand Piccard.
« L'exploration physique et géographique de la planète est achevée. Nous entrons maintenant dans l'âge d'or de l'exploration biologique », revendique Olivier Pascal, botaniste et responsable d'expédition pour l'ONG Pro-Natura International. Sur la carte planétaire de la biodiversité, les « zones blanches » représentent encore neuf dixièmes de la surface du globe. Seulement 1,8 million d'espèces ont été répertoriées à ce jour, soit probablement moins de 20 % de ce qui reste à découvrir.
La conquête de l'or vert s'est élancée vers « ces mecques inviolées de la biodiversité », selon l'océanographe Philippe Bouchet, directeur de l'unité de taxinomie du Muséum national d'histoire naturelle de Paris. En 2006, l'expédition Santo qu'il avait coorganisé avait emmené 160 chercheurs au coeur d'un réservoir encore vierge du Pacifique Sud.
Depuis, la science fait collection de grandes expéditions : les rives laotiennes du Mékong, les forêts côtières du Mozambique, la province chinoise du Yunnan, l'Himalaya oriental, la montagne colombienne de Tacarcuna, la jungle de Papouasie indonésienne, les rocailles du Kerala... Les nouveaux aventuriers de la science ramènent chaque année plusieurs milliers de nouvelles espèces de leurs escapades dans ces mondes perdus.