lundi 23 mai 2011
Le gemmage façon malgache
Depuis 2007, la société DRT exploite à Madagascar 10 000 hectares de pins, dont elle importe la résine.
De Moramanga, au centre-est de Madagascar, il faut compter trois heures de piste au milieu des rizières pour rejoindre les parcelles de pins qu'exploite depuis 2007 la société landaise DRT (Dérivés résiniques et terpéniques). 10 000 hectares sur les 70 000 plantés dans les années 1970 pour lutter contre la déforestation, qui fait apparaître au grand jour la terre rouge de la Grande Île. L'Afrique et l'Asie se rencontrent ici, au cœur de l'océan Indien, dans un des dix pays les plus pauvres du monde.
85 % des Malgaches n'ont pas accès à l'électricité, et la forêt naturelle d'eucalyptus est très régulièrement coupée pour la production de charbon de bois. « Ce projet de plantation pharaonique a été financé par la Banque mondiale, et très bien pensé, commente Stéphane Mazars, salarié expatrié de la DRT, chargé du développement de la filière malgache. Il était au départ destiné à l'industrie papetière, avant d'être reconverti dans le bois d'œuvre dans les années 1985-1990. Face au désastre écologique, l'objectif était de restabiliser les sols. »
Droit d'usage
Cette étonnante forêt artificielle de pins, qui s'étend sur 120 kilomètres de long et 25 de large, est gérée par la société d'État Fanalamanga. En 2007, la Société malgache de collecte et de transformation de la résine (SMCTR), émanation de la DRT, a obtenu un droit d'usage de dix ans pour le gemmage, une activité disparue de nos forêts, faute de main-d'œuvre suffisante et de rentabilité. « Il n'y a plus une goutte de résine qui sort du massif landais depuis les années 1970-1975, reprend Stéphane Mazars, ingénieur du bois qui a commencé sa carrière à Escource pour le groupe Gascogne. Les approvisionnements se sont déportés vers l'Europe du Sud, l'Espagne et le Portugal. Aujourd'hui, les fournisseurs sont surtout le Brésil et la Chine. DRT cherchait depuis longtemps à diversifier ses approvisionnements, parce que ces pays émergents vont avoir de plus en plus besoin de leur propre production. »
La société landaise s'est donc tournée vers les somptueux paysages naturels de Madagascar et son fort potentiel de main-d'œuvre. Une activité de collecte nouvelle pour le groupe, qui jusque-là achetait un produit semi-transformé. « Cela permet de sécuriser l'approvisionnement, mais aussi de contrôler sa qualité », souligne Stéphane Mazars.
500 salariés
L'Aveyronnais a été missionné avec sa femme, Gilmara, pour créer la filière de toutes pièces. Basée dans la capitale, Antananarivo, la SMCTR emploie aujourd'hui à l'année 500 salariés, qui entretiennent manuellement les pins et collectent la résine.
« La région est très peuplée, et il n'y a pas du tout d'emplois. Les gens cultivent du riz, font du charbon et vivent au jour le jour, en autosubsistance. Nous avons été opérationnels en 2007 et avons commencé avec 25 salariés ».
Méfiants d'abord, peu habitués aux horaires fixes, les Malgaches des villages avoisinants bénéficient aujourd'hui de ces postes, rémunérés 35 à 40 euros mensuels pour un ouvrier, soit 5 euros au-dessus du salaire moyen, dans un pays où 80 % des activités sont informelles et où les congés payés et l'affiliation aux caisses médicale et de retraite restent rarissimes. « La vie s'est améliorée, traduit Heriaja Ravelomanantsoa, un des cadres locaux qui sillonnent la forêt à moto, à la rencontre des équipes à l'œuvre dans les parcelles. Il y a moins de vols dans les villages, les gens peuvent envoyer leurs enfants à l'école et acheter des vêtements neufs. »
Au ban de la communauté internationale depuis mars 2009 et le renversement du président Marc Ravalomanana par le maire de la capitale, Andry Rajoelina, l'île peine à sortir de l'enlisement économique et d'une misère sans horizon politique hormis d'éventuelles élections avant la fin de l'année.
Un contexte incertain qui n'a pas remis en cause l'installation de la DRT, ni pesé sur son développement, selon Stéphane Mazars : « Les retours sur investissement sont très longs dans ce genre de projets, et cette implication en terre malgache se veut à long terme. »
750 arbres par jour
N'était le soleil mordant de l'hémisphère Sud, on croirait presque fouler les sentiers landais en pénétrant dans la forêt. À ceci près que les arbres plantés ici ne sont que de lointains cousins de l'espèce maritime : le pin de Benguet provient du sud de l'Asie et le pin des Caraïbes d'Amérique centrale. Les sujets produisent entre 1 000 et 2 500 grammes de gemme par an, collectée dans des sacs en plastique fixés au tronc et remontés au fil des raclages.
Comme aux derniers temps du gemmage en France, on n'utilise pas le traditionnel pot de résine, afin d'éviter les clous dans l'écorce. Chaque ouvrier traite 750 arbres par jour et a toujours la charge des mêmes lignes. Le sol est aussi soigneusement nettoyé pour limiter les départs de feu. Ici, pas de caserne de pompiers à proximité, mais des équipes maison.
Ingénieux, les Malgaches ont mis au point leur propre outil pour appliquer le produit activateur sur les fûts saignés : de petites bouteilles de soda surmontées d'une valve de bicyclette. Moins cher et tout aussi efficace que les systèmes jusque-là importés du Brésil. En attendant, un jour peut-être, la relocalisation du gemmage dans nos contrées ?