jeudi 20 janvier 2011

Conjurer la malédiction de la brique par Nasolo-Valiavo Andriamihaja

Je ne suis pas géographe, mais il me suffit de voir combien l'Ikopa se tarit. Le fleuve, qui reçoit quatre principaux affluents (Varahina, Sisaony, Mamba, Andromba), fait mentir le proverbe qui le fait jaunir de boue à mesure qu'il reçoit les eaux affluentes. L'Ikopa, dont les alluvions ont permis la naissance de la plaine du Betsimitatatra, ressemble désormais à une rivière dont on peut s'inquiéter s'il ne s'assèche pas définitivement un jour.
Cette hypothèse, proprement impensable, n'est plus tout à fait impossible puisque même la grande forêt de l'Est, que les Anciens pensaient inépuisable ( « rahoviana no ho lany ny ala atsinanana » ), se réduit comme peau de chagrin. Si l'étiage en aval est déjà aussi critique, doit-on s'attendre à ne voir couler qu'un filet d'eau en amont ?
C'est la Jirama qui nous a familiarisés avec deux termes désormais condamnés à cohabiter : d'une part, le « délestage » (suppression momentanée de la fourniture de courant électrique) conséquence de l'« étiage » (niveau moyen le plus bas d'un cours d'eau, selon Le Petit Larousse), d'autre part. Régime d'alizé et flux de mousson ne semblent pas influer significativement ce déficit pluviométrique dorénavant chronique. La pluie, salutaire, de ce 20 janvier, ne suffira sans doute pas à renflouer une nappe phréatique dont on aimerait bien que les services concernés nous donnent des nouvelles.
Longtemps, on avait parlé du polder que sont les quartiers bâtis sur le Betsimitatatra. Et que le Carlton se retrouverait les pieux à l'air ou les 67 hectares brutalement affaissés si on déroctait le seuil de Bevomanga. Et que, plutôt que ce soit les eaux de la plaine qui s'évacuent par l'Ikopa, c'est le lit de l'Ikopa qui alimente la plaine. Ces vérités anciennes seraient-elles à reconsidérer de fait, si l'Ikopa venait à s'étier durablement ?
On doit donc à E.-F. Gautier cette formule fameuse, à propos de l'île rouge : « La latérite a la consistance, la couleur et la fertilité de la brique ». Si l'eau cessait de charrier cette érosion, dont Jean-Pierre Raison avait pu se demander si elle était meurtrière ou utile à la « nécessaire rénovation du sol », comment échapper à la malédiction de la brique : « Nul doute que les caractères climatiques des Hautes Terres Centrales , précipitations très fortes, quoique concentrées sur six mois seulement, températures élevées malgré le refroidissement hivernal, réunissent les conditions nécessaires à l'altération ferralitique (…) sols extrêmement profonds, argileux pour l'essentiel, avec une forte prédominance de kaolinite, mal structurés, très pauvres en éléments échangeables, très désaturés, très faiblement pourvus en bases (…) L'absence actuelle de forêt réduit à l'extrême l'horizon humifère que ne renouvellent guère des herbes rapidement lignifiées ; il n'y a pas plus d'humus dans les reboisements, malencontreusement constitués de pins, qui acidifient encore davantage les sols, ou d'eucalyptus, dont les feuilles très ligneuses ne se décomposent qu'à grand-peine » (Les Hautes Terres de Madagascar, Karthala, 1984, pp. 56-57).
J'ai pu retrouver le bulletin climatologique pour les mois de novembre 1957 et 1962, et décembre 1960, 1961 et 1962. Globalement, l'impression intuitive de réchauffement climatique se vérifie dans les relevés : les températures maximales de 2010 (31 pour décembre, 30 pour novembre) sont sensiblement supérieures à celles d'il y a 50 ans : 30 (novembre 1957), 28,5 (novembre 1962), 27,6 (décembre 1960), 27,3 (décembre 1961), 28,1 (décembre 1962). Quant à la température minimale, les 9,5 degrés du 8 novembre 1957 semblent polaires en comparaison des 14 degrés du 8 novembre 2010.
En Afrique, le lac Tchad ne représente plus que le vingt-cinquième de son étendue originelle. Chez nous, les lacs Alaotra et Itasy, dont l'étymologie renvoie doublement à la mer indonésienne, s'évaporent-ils également plus qu'ils ne renouvellent ? Ces multiples préoccupations écologiques confirment le choix stratégique, quasiment existentiel, d'un parti de la Nature, de sa sauvegarde, de son exploitation, de sa gestion rationnelle. Ainsi, seraient discutées, sur des bases sérieuses et dépassionnées, l'éventualité d'un captage près des embouchures d'eaux destinées à l'exportation ou de la légalisation de la coupe du bois de rose à la condition d'une mise en place d'une pépinière de succession. La Nature ou l'Écologie est un fonds de commerce particulier : son enjeu sera pour nous d'échapper à la malédiction de la brique.