mardi 26 octobre 2010

Youssef Courbage « La démographie de Madagascar décroît »


Le directeur de l'Institut national de démographie de Paris donne ce jour au Centre culturel Albert Camus une conférence sur les contraintes et les potentiels de la dynamique démographique à Madagascar. Il nous donne un aperçu de ses analyses.

• Pensez-vous que Madagascar est surpeuplé, ou sous-peuplé, avec ses 20 millions d'habitants ?

Il y a effet près de 20 millions de Malgaches. Mais l'Île est étendue, et certaines personnes peuvent être tentées de dire que les Malgaches doivent encore se multiplier pour pouvoir occuper les espaces vides. C'est une analyse appelée populationniste ou pro-nataliste, laquelle encourage les gens à avoir beaucoup d'enfants en espérant des retombées économiques. Mais il y a une autre optique tout à fait à l'opposé, dénommée maltusienne. Cette dernière analyse estime que la démographie de Madagascar s'accroît trop vite car le taux de croissance se rapproche des 3% par an. C'est beaucoup par rapport à d'autres pays en voie de développement que je connais.

• D'où tirez-vous les statistiques pour Madagascar ?

Le dernier document, que j'utilise d'ailleurs pour ma présentation de demain (ndlr : aujourd'hui), est une enquête de démographie et santé effectuée en 2008-2009. Elle donne des informations intéressantes non seulement sur la démographie mais aussi sur la santé familiale et infantile, ou sur les violences conjugales. C'est un document facile d'accès car consultable sur Internet.

• Est-ce une croissance atypique par rapport à celle d'autres pays ?

En effet, c'est peut-être une croissance atypique. Car vous avez un décalage entre un niveau d'alphabétisation relativement bon et une fécondité élevée. Quand on pose la question : « quel est le nombre idéal d'enfants qu'une famille devrait avoir ? », la moyenne de cet idéal est relativement élevée pour Madagascar, car elle est de 4,7 alors que dans un pays comme le Maroc, elle n'est que de 1,8, et pour la Turquie de 1,6. Il existe une grande différence psychologique entre ces pays en voie de développement.

• Estimez-vous qu'à ce rythme, Madagascar rencontrera une explosion démographique ?

Sans être un spécialiste de Madagascar ni de la démographie, j'ai été effectivement amené à me demander comme la population malgache évoluera dans les 40 prochaines années. J'ai inventé des scénarios démographiques. Et contrairement à beaucoup de gens qui sont assez pessimistes, mon scénario montre qu'il existe beaucoup plus de raisons incitant à l'optimisme qu'au pessimisme.

• C'est-à-dire qu'il y aura un ralentissement de cette croissance...

Nous remarquons que la fecondité des femmes est très liée à leur niveau d'instruction. Les mieux éduquées font moins d'enfants, et ce sont les analphabètes qui en font le plus. Et la différence semble assez sensible car l'année où cette enquête a été realisée, par exemple une femme analphabète avait en moyenne 6,5 enfants, c'est qui est beaucoup. Une femme ayant fait l'école primaire avait en moyenne 5,4 enfants, et celle ayant fréqeunté l'enseignement secondaire ou supérieur était mère de trois enfants. Il existe depuis les dix dernières années une dynamique très forte de scolarisation à Madagascar. Des jeunes générations de plus en plus instruites remplacent les vieilles générations, généralement analphabètes. Or, quand le niveau d'éducation augmente, la natalité diminue de façon mécanique. C'est ce qui est en train de se passer en ce moment. Madagascar se trouve dans une phase de transition démographique.

• Quelle sera donc la situation dans quarante ans, selon votre scénario ?

La tendance observée actuellement va s'accélerer dans les prochaines années. L'indice de fécondité, c'est-à-dire le nombre moyen d'enfants qu'une femme met au monde, qui est très élevé avec 4,7 enfants, va beaucoup diminuer et de manière très régulière pour arriver à 2,4 enfants dans quarante ans. En 2050, la fécondité à Madagascar se rapprochera de ce qu'il faut pour que la génération se renouvelle. Quand on pense que la France se retrouve aujourd'hui avec un indice de fécondité de 2,02.

• Y a-t-il un nombre d'habitants idéal par rapport à la superficie d'un pays comme Madagascar ?

Il est difficile de définir un nombre idéal de population. Des pays comme Hong Kong, le Vatican, ou Singapour ont une densité de la population très élevée mais dont le niveau de vie est excellent. D'un autre côté, les pays comme l'Egypte et l'Indonésie ont une densité de population très élevée et un niveau de vie bas. On ne peut pas généraliser, il n'y a pas de règles générales. Une population doit augmenter, mais il faut que cet accroissement suive un rythme soutenable, pas trop élevé par rapport à l'augmentation des ressources.

• Des analyses plus économiques soutiennent qu'un nombre de population élevé équivaut à un plus grand marché, permettant de créer une dynamique au niveau des entreprises et des industries. Qu'en pensez-vous ?

C'est une question intéressante mais difficile à repondre. Le marché, c'est très bien car il en faut. L'Amérique apparaît comme un marché de 350 millions d'habitants, la Chine et l'Inde dépassent chacune le milliard d'habitants. Effectivement, tout porterait à croire qu'il faut une population plus nombreuse pour créer la possibilité d'industrie. Mais il faut rester réaliste car les 20 millions de Malgaches d'aujourd'hui n'atteindront jamais le demi-milliard. Par contre, vous avez le marché commun avec l'Afrique australe, et l'océan Indien. Madagascar a toute la possibilité de trouver ce marché très large, mais avec une croissance démographique moins importante.

• Justement, pouvez-vous développer l'intérêt de cette croissance démographique faible ?

Madagascar a tout intérêt à réduire son taux de croissance démographique et c'est d'ailleurs ce qui va se passer. Cette baisse de la natalité due à la hausse du niveau d'instruction va se répercuter bénefiquement sur la croissance économique et sociale. Les femmes, qui sont concernées par l'amélioration du niveau d'instruction, deviennent de plus en plus conscientes de l'avantage d'une famille à taille réduite. Elles vont aspirer à avoir de moins en moins d'enfants. Par ailleurs, la réduction du taux de croissance démographique fera baisser les investissements sociaux que l'État et la société civile devront faire, au profit des investissements économiques lesquels serviront à accroître la production.

• Avec la limitation de naissance, n'existe-t-il pas un risque qu'il y ait un grand déséquilibre entre le nombre d'hommes et de femmes, d'ici quarante ans ?

Le seul cas de figure où il naît plus d'hommes que de femmes a lieu en Chine et en Inde. On y a beaucoup réduit la natalité et l'on y préfère avoir un garçon plutôt qu'une fille. Dans ces pays, une femme peut être tentée d'avorter si elle prend connaissance que le foetus est de sexe féminin. C'est pour avoir la chance d'avoir un garçon après. Ensuite, la parité homme-femme dans le pyramide des âges à Madagascar est parfaitement équilibré. Il y a très peu de risque qu'il y ait plus d'hommes que de femmes dans le pays.

• Beaucoup de pays développés rencontrent aujourd'hui le problème du vieillissement de leur population. Madagascar ne risque-t-il pas de rencontrer ce phénomène plus tard ?

Madagascar ne devrait pas avoir ce genre d'inquiétude. La population malgache compte aujourd'hui seulement 3% de personnes âgées de plus de 65 ans. Ce chiffre passera à 6% dans 40 ans. Madagascar est très loin du vieillissement européen.

• À quelle étape de cette transition démographique se trouve actuellement la populaiton malgache ?

Madagascar a aujourd'hui déjà accompli les 20% de l'étape initiale de cette transition. La courbe de l'indice de fécondité est déjà en train de baisser fortement. Les 80% restantes vont donc se dérouler dans les 40 années à venir. Madagascar a donc réalisé 20% de sa transition démographique pendant 40 ans, et il y aura une très forte accélération dans les autres 40 prochaines années.